mardi 29 mai 2012

Grèce : Christine Lagarde a tout faux

Voici un article paru hier sur le site "Marianne 2" écrit par l'économiste Jacques Sapir

Tollé général après les propos tenus par Christine Lagarde sur la Grèce, ce week-end. L'économiste Jacques Sapir démontre que les Grecs payent davantage leurs impôts que ce qui est raconté et que c'est l'investissement et les taux d'intérêt sur la dette qui asphyxient le pays.

Madame Christine Lagarde, ci-devant responsable du FMI et ancienne ministre des Finances de la République française, est décidément fâchée avec les chiffres. Elle a une excuse, elle n’est pas la seule !

En effet, contrairement aux idées reçues, et à ce qu’affirment tant les dirigeants allemands que Mme Christine Lagarde, les impôts représentent une part non négligeable de la richesse intérieure grecque. Il est donc parfaitement faux de dire que les Grecs ne payent pas d’impôts, même si on peut supposer que l’assiette fiscale est injuste et mal répartie et que certains contribuables fraudent de manière conséquente.

Importance des prélèvements fiscaux en Grèce


2007

2008

2009

2010

2011

Part des recettes en % du PIB

40,8%

40,7%

38,2%

39,7%

40,9%

Montant brut des recettes en milliards d’Euros

90,91

94,83

88,60

90,25

88,07

Charge des intérêts en milliards d’Euros



11,94

11,92

13,19

15,03

Intérêts en pourcentage du PIB


5,1%

5,1%

5,8%

6,99%

Déficit budgétaire en % du PIB


-9,8%

-15,6%

-10,3%

-9,1%

Déficit hors charge des intérêts



-4,7%

-10,5%

-4,5%

-2,1%


Source : ELSTAT (Hellenical Statistical Authority), Fiscal data for the years 2008-2011 et Fiscal data for the years 2007-2010, Press release, 23 avril 2012 et 17 octobre 2011, Athènes.

Si l’on fait exception de l’année 2009 où il y a eu, effectivement, une importante dérive des comptes publics dans l’année électorale, on voit qu'une part majeure, et en 2011 absolument décisive, du déficit budgétaire grec est provoqué par la charge des intérêts de la dette. Plutôt que de chercher à culpabiliser la population grecque, Madame Lagarde ferait mieux de s’attaquer aux effets des intérêts de la dette.

D’ailleurs, la contraction rapide du PIB, provoquée par le mémorandum qu’elle défend avec autant d’obstination que de mauvaise fois, joue elle aussi un rôle très néfaste dans l’aggravation de la situation économique de la Grèce. Les politiques d’austérité mises en œuvre depuis le début de 2010 ont en effet provoqué une contraction importante du PIB qui a accru le poids nominal de la dette et par là même le poids des intérêts. Pire encore, ces politiques ont provoqué un effondrement de l’investissement productif, ce qui empêche l’économie grecque de retrouver un dynamisme et une compétitivité mise à mal dans les années précédentes.

Impact de la crise sur les investissements

Pourtant, on constate un frémissement du commerce extérieur de la Grèce. La baisse autoritaire des salaires et le compression de la demande ont provoqué un accroissement des exportations et une baisse des importations.

Mouvements de la balance commerciale grecque


2007

2008

2009

2010

2011

Exports en % du PIB

26,8%

27,5%

21,5%

24,4%

27,3%

Imports en % du PIB

42,2%

43,8%

34,2%

34,4%

35,7%

Balance commerciale en % du PIB

-15,4%

-16,4%

-12,7%

-10,1%

-8,5%


Source : ELSTAT, base de données du commerce international.

Ceci montre que l’élasticité des exportations aux coûts internes est très forte contrairement à ce qui est affirmé tant hors de Grèce (par Patrick Artus de Natixis par exemple) que parfois même en Grèce. En cas d’une sortie de l’Euro, une importante dévaluation serait très probablement en mesure de rétablir l’équilibre de la balance commerciale. Cette dévaluation pourrait faire baisser les importations de 4% à 5% (en partie par une substitution des produits locaux aux produits importés) tandis que les exportations pourraient continuer de progresser de 4% à 5%.

On voit bien alors que la situation de la Grèce est loin d’être sans issue. Au sein de l’Euro, si la Troïka (et le FMI) acceptait de sacrifier les intérêts de la dette pendant une période de 5 années et se mettait d’accord sur un plan d’investissement à hauteur de 15 milliards d’euros par an, il est parfaitement concevable que la Grèce puisse récupérer de son déficit de compétitivité. Hors de l’Euro, si la Grèce se décide à répudier sa dette, et décide de financer son déficit résiduel (2% du PIB) par des avances de la Banque Centrale, elle ne devrait pas connaître de mouvements inflationnistes excessifs, et la dévaluation de la Drachme est à même de reconstituer la compétitivité externe du pays.

Il convient donc de soutenir ceux qui en Grèce exigent une renégociation du Mémorandum visant à la fois un allègement des charges d’intérêts et des investissements dans l’économie grecque comme préalable à tout nouvel effort. Mais il convient aussi de garder en mémoire qu’une politique de rupture, une répudiation de la dette et une dévaluation de 50%, est parfaitement possible pour la Grèce si les négociations devaient échouer.

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